05 avril 2023

Conférence en ligne : « L’armement nucléaire à l’heure de la guerre en Ukraine »


Compte-rendu de la visioconférence de
Jean-Marie Collin

(directeur d’ICAN France)

« L’armement nucléaire à l’heure de
la guerre en Ukraine »

Le pdf 

(29 mars 2023)

Texte de présentation de la conférence

L’invasion russe du 24 février 2023 se réalise dans une période charnière pour l’architecture internationale de sécurité, car deux mouvements contraires se font face. D’une part, un renforcement de la norme contre les armes nucléaires, avec l’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN).  

D’autre part, une confirmation d’une nouvelle course aux armements entre les puissances nucléaires qui modernisent et renouvellent leurs arsenaux. Un processus qui a débuté bien avant la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, laquelle a dangereusement aggravé le risque d’escalade nucléaire et montré que la Russie a un usage agressif de sa politique de dissuasion. Cette situation complexe oblige les acteurs et les mouvements politiques français à s’interroger sur le sujet des armes nucléaires à l’aube d’autres crises, notamment celle du dérèglement climatique.

L’organisation non gouvernementale ICAN (International Campaign to Abolish Nuclear Weapons ou La Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires) naît en 2007.

La branche française d’ICAN – au départ portée par une coordination mise en œuvre par le Mouvement de la paix – est créée en 2013. Son but premier consiste à initier des débats à propos des armes nucléaires et de leurs conséquences humanitaires, à fournir les informations indispensables. En effet, il ne s’agit pas d’armes « classiques », car leurs effets de destruction massive sont à la fois immédiats et sur le long terme. Créée en 1947, « l’horloge de l’apocalypse nucléaire » évalue actuellement à 90 secondes le risque de la « fin du monde » – compte tenu de la multiplication des menaces ouvertes ou voilées d’utiliser l’arme nucléaire (Kim Jong-un face à « toutes menaces », Vladimir Poutine face à l’Ukraine, Donald Trump face à l’Iran…) –, alors qu’il était de 17 minutes à la fin de la guerre froide.

Du fait qu’il ne peut y avoir de réponse affirmative ou négative avec certitude sur l’efficacité de la politique de dissuasion nucléaire, on constate en France d’une part une communication favorable à la Bombe et d’autre part une forme de banalisation des menaces, en particulier depuis le début de la guerre en Ukraine.

En cas d’attaque nucléaire, on ne peut rien faire pour les populations, car il n’existe aucun moyen de réaction rapide (mise à l’abri, assistance sanitaire, évacuations par hélicoptère ou autre). Cette absence de moyens est apparue le 13 janvier 2018 à la suite d’une fausse alerte sur l’Île d’Hawaï qui a duré 38 minutes. La panique a gagné les habitants, sans abri disponibles, ce qui a occasionné des accidents et même des suicides.

Concrètement, un missile nucléaire s’abattant sur l’Ukraine provoquerait au minimum une centaine de milliers de morts mais aussi un exode d’environ dix millions de personnes en direction de l’Europe. À plus grande échelle, une attaque nucléaire en Europe entraînerait des déplacements de plusieurs dizaines de millions d’individus vers l’Afrique notamment. Indépendamment des conséquences liées à la radioactivité, l’utilisation de l’arme nucléaire amplifie le problème du dérèglement climatique sur le seul aspect des risques de déplacements massifs de populations. De plus, il n’existe pas de structures médicales adaptées à une telle ampleur et aux types d’atteintes radioactives.

Le Comité international de la Croix-Rouge pose la question : « Vivre ou mourir après une attaque nucléaire ? » ; et ICAN celle-ci : est –ce à nous de décider de notre avenir ou aux armes nucléaires ?

Aujourd’hui, neuf pays possèdent l’arme nucléaire : États-Unis d’Amérique, Chine, Russie, France, Grande-Bretagne, Israël, Inde, Pakistan et Corée du Nord. On notera que les cinq premiers de cette liste ont le « droit » d’en posséder sur la base du critère inscrit dans le Traité de non-prolifération nucléaire suivant : leur premier essai nucléaire a été réalisé avant 1967.

Le nombre total d’ogives nucléaires est de 12 512 en 2023, contre 70 000 dans les années 1980 ; ce qui prouve que les États sont capables de diminuer leur arsenal. L’état d’alerte permanent permet que certaines armes soient prêtes à une utilisation immédiate.

La France possède une force aérienne stratégique - constituée d’avions Rafale pouvant utiliser des missiles de croisière dont la puissance de chacun équivaut à vingt fois celle de la bombe utilisée à Hiroshima - ainsi que d’une force aéronavale (avions sur le porte-avions) et la force Océanique Stratégique (qui repose sur les quatre Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins – SNLE).

Le concept de dissuasion nucléaire en France repose notamment sur l’emploi en premier de l’arme nucléaire à travers « un avertissement de nature nucléaire » (soit l’usage d’un missile ASMP par les Forces aériennes stratégiques). La mise en œuvre de ce principe prouverait que la dissuasion nucléaire n’a pas fonctionné et, de plus, il y a de fortes chances (un fort risque) que l’adversaire visé et touché riposte.

Les présidents de la République français justifient cette dissuasion nucléaire qui « vise à protéger nos intérêts vitaux (territoires, population, axes de navigation) et notre liberté d’action » (François Hollande) et qui donne la possibilité de provoquer « des dommages inacceptables » (Emmanuel Macron). Notons que certains pays peuvent alors revendiquer de s’équiper d’armes nucléaires si cela est la condition pour défendre leur propre liberté d’action. Afin que cette dissuasion fonctionne, il faut la rendre crédible :

  • une crédibilité militaire qui se traduit par des exercices nucléaires quatre fois par an et le lancement d’un missile par un sous-marin tous les trois ou quatre ans.

  • une crédibilité budgétaire attestée par le vote du budget tous les ans au Parlement : la part de la dissuasion augmente lors des votes des Lois de Programmation Militaire (17 milliards sur l’exercice 2003-2008, 23,3 milliards sur 2014-2018 et entre 45 et 60 milliards pour 2024-2030 – soit 6 milliards par an au minimum).

  • une crédibilité du discours politique affichant la volonté de fermeté, une fermeté en pleine conscience de non-respect du droit international humanitaire concernant les populations civiles ainsi que les équipes de secouristes, dont les humanitaires.

La logique de la dissuasion nucléaire impose de renouveler et de moderniser l’arsenal nucléaire : sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, missiles, ogives nucléaires. Ces décisions sont indépendantes de la guerre en Ukraine puisque les programmes et augmentations du budget ont été engagés avant 2014. Lorsque l’on sait que le démantèlement des armes nucléaires prend au minimum une centaine d’années, sans parler des déchets, les mesures budgétaires votées au Parlement, de surcroît sans un réel débat, sur cette question engagent le pays et ses habitants pour au moins cent cinquante ans !

Une telle attitude montre le refus d’engager toute réflexion à propos de la dissuasion et du désarmement nucléaires et atteste de la volonté de pérenniser les arsenaux nucléaires. Or, il existe le traité de non-prolifération des armes nucléaires depuis 1968. Même ceux qui ont le droit de posséder l’arme nucléaire doivent s’engager à ne pas faire proliférer ce type d’arme et au désarmement nucléaire (article 6).

L’explosion nucléaire peut résulter aussi bien d’une situation de guerre que d’un accident ou d’un acte de malveillance.

Jusqu’en juillet 2017, il n’existait pas de traité interdisant les armes nucléaires. C’est chose faite à partir de cette date avec le TIAN (Traité sur l’interdiction des armes nucléaires), adopté par 122 États à l’assemblée générale de l’ONU. Ce traité fait pression sur les États favorables à la dissuasion nucléaire. 92 États l’ont signé et 68 l’ont ratifié en mars 2023. La différence du nombre de pays s’explique par les délais législatifs propres à chaque pays mais aussi en raison de changements politiques. Le TIAN est entré en vigueur le 22 janvier 2021. Désormais, les armes nucléaires sont interdites au même titre que les armes chimiques et bactériologiques.

La France, la Grande-Bretagne, les États-Unis d’Amérique, la Russie et la Chine ont protesté ensemble contre le TIAN.

Aujourd’hui, certaines banques (comme KBC en Belgique ou la Deutch Bank en Allemagne) refusent de financer des entreprises qui produisent des armes nucléaires (comme Thalès ou Dassault). Mais, dans cette liste, ne se trouve aucune banque française ! En revanche, c’est en France qu’a vu le jour, dans un État nucléaire, du premier groupe interparlementaire travaillant sur cette question.

Comment soutenir ICAN et/ou relayer son discours ?

  • par l’information : en discutant autour de soi, en organisant des conférences sur le sujet – certaines pouvant débuter par la projection d’un film (de fiction comme Docteur Folamour ou Hiroshima mon amour, ou des documentaires).

  • par la recherche de débats publics et la promotion de l’appel des villes et des collectivités territoriales (motion à faire voter par le conseil municipal par exemple, voire officialisation par une cérémonie). ICAN France voudrait atteindre le nombre de 100 communes fin 2023 pour créer une pression sur l’État (actuellement 69 communes ont signé cet appel - dont Bordeaux, Paris, Saint-Étienne1…).

  • auprès des banques : écrire à sa banque pour lui demander pourquoi elle continue de financer des entreprises qui produisent des armes nucléaires.

  • auprès des parlementaires pour :

  • qu’ils soutiennent le TIAN ;

  • qu’ils fassent pression sur le Gouvernement afin qu’il signe et ratifie le TIAN ;

  • qu’ICAN soit auditionnée par une commission parlementaire ;

  • convaincre la France que la diplomatie française participe comme observateur à la deuxième réunion du TIAN à la fin de l’année 2023.

  • adhérer et/ou faire un don à ICAN.

Pour aller plus loin :

? ICAN :

- Site Internet d’ICAN France : http://icanfrance.org/

- Étude « Déchets nucléaires militaires : la face cachée de la bombe atomique française », ICAN  France/Observatoire des armements, décembre 2021.

? Ouvrages :

- Paul Quilès, Michel Drain et Jean-Marie Collin, L’illusion nucléaire : la face cachée de la bombe atomique, Éd. ELCM, 2018.

- Catherine Maia et Jean-Marie Collin (eds.), Nuclear Weapons and International Law: Visions of a Plural World, 2021.

? Chapitre d’ouvrage :

- « L’interdiction du financement et de l’investissement dans le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires », dans Le droit international et le nucléaire, Éditions Bruylant, 2021.

? Articles :

- « Le manque de transparence sur les déchets nucléaires militaires pose un grave problème démocratique », Le Monde, 21 janvier 2022.

- « État des forces et future de la dissuasion nucléaire de la France », Revue Militaire suisse, juin 2022.

1 Le 17 avril 2023, Montpellier va devenir la 70e commune à signer cet appel.

1 commentaire:

  1. Céline PIOT11/04/2023 08:33

    Conférence passionnante et très enrichissante. Une question supplémentaire me vient : si un jour la France (qui possède l'arme nucléaire) acceptait enfin de signer et de ratifier le TIAN, la menace nucléaire restera toujours vive (puisque huit pays continueront à posséder cette arme). Aussi les détracteurs du TIAN ne pourraient-ils pas rétorquer que cela ne sert à rien que la France n'ait plus cette arme et que, du coup, elle n'aurait même plus la capacité de riposter ? Le TIAN n'est-il pas perçu par les pro-armement nucléaire comme la fin de la "puissance" de la France ? Comment donc faire pour que ce que soit l'ensemble des neuf pays possédant l'arme atomique qui signent le TIAN ?

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