24 décembre 2022

Social-démocratie et social-libéralisme : même combat ?

Il y a une quinzaine d’années Le Monde Diplomatique indiquait qu’il était plausible que la Chine Populaire devienne social-démocrate, François Hollande s’égosille à dire qu’il est social-démocrate et François Ruffin dans son interview à L’Obs d’il y a un mois s’y met aussi !

Dans de nombreux textes, le Parti de Gauche, parti de Jean-Luc Mélenchon, semble considérer la social-démocratie et le social-libéralisme comme des synonymes, et beaucoup de militants sortent leur revolver dès que le mot « social-démocrate » est prononcé...

Ruffin et Hollande, même combat ?


Il nous faut retourner à l’histoire et aux textes pour y voir clair, pour avoir, comme le disait Marx, « les yeux dessillés ».

En effet, à mon sens, les deux termes sont radicalement différents, voire opposés.

L’examen que nous allons faire concerne, en France, le Parti Socialiste, lieu de confrontation central en la matière.

Repartons plus d’un siècle en arrière. Oui, c’est bien « vieux »... Mais, après tout, le Manifeste du Parti Communiste date bientôt de deux siècles !

Caractérisons tout d’abord, la social-démocratie.

- I - La social-démocratie est-elle réformiste ou révolutionnaire ?

Pour beaucoup, la social-démocratie apparaît comme réformiste.

Une partie de la doctrine et de la propagande du Parti Communiste pendant de très nombreuses années ont soutenu cette idée à la lumière notamment du Congrès de Tours, mais également des années qui ont suivi puisque la révolution s’incarnait alors en l'URSS et en Lénine et que la SFIO s’opposait au Léninisme et aux conditions de la IIIe Internationale.

Plus récemment, le penseur communiste Yvon Quiniou, parmi d’autres, considère « que la social-démocratie a été une authentique forme du mouvement ouvrier qui entendait réformer le capitalisme de l’intérieur sur la base d’un compromis entre le monde du travail et le Capital,

organisé démocratiquement par l’Etat, quitte à envisager le dépassement du capitalisme lui-même (hormis en Allemagne lorsque le SPD a rompu avec le marxisme à Bade-Godesberg), mais pas à pas » (souligné par nous).

En fait, la question n’est-elle pas celle de la contradiction ou non entre réforme et révolution ? Comment cette contradiction réelle ou apparente a-t-elle été abordée depuis environ un siècle ?

Des militants qui se disaient révolutionnaires pouvaient-ils lutter pour des réformes tout en restant révolutionnaires, voire en considérant que des réformes peuvent présenter un caractère révolutionnaire ?

 

Reportons-nous aux textes.

Contrairement à l’idée reçue, historiquement, la SFIO est révolutionnaire dans le sens où elle souhaite le remplacement du capitalisme par le socialisme.

1- En 1908 au V° Congrès national de la SFIO, très peu de temps après l’unification des différents partis se réclamant du socialisme, Jean Jaurès fait voter à l’unanimité, la notion d’« évolution révolutionnaire ».

Selon lui, le socialisme s’imposera graduellement par l’introduction dans la société capitaliste, sous la pression du mouvement ouvrier, de « formes de propriété qui la démentent et qui la dépassent, qui annoncent et préparent la société nouvelle, et par leur force organique hâtent la dissolution du monde ancien. »

C’est ainsi que Jaurès préconise notamment la nationalisation immédiate des banques, le développement des services publics, la multiplication des coopératives de production et de consommation, etc...

2- C’est dans cette perspective qu’il faut analyser la position exprimée par Léon Blum lors du Congrès de Tours en Décembre 1920.

Ainsi que l’indique Robert Verdier, il s’agit bien alors de « deux conceptions de la révolution » qui s’affrontent et non pas des révolutionnaires (les militants de la future Section Française de l’Internationale Communiste) et des réformistes (ceux qui demeurent à la SFIO).

Léon Blum, porte-parole de cette dernière sensibilité, déclare notamment qu’un parti socialiste ne peut être que révolutionnaire puisqu’il est « un mouvement d’idées et d’action qui mène à une transformation totale du régime de propriété ».

Néanmoins, cette transformation fondamentale doit être préparée par « des modifications insensibles de la propriété capitaliste. […] La formule et le mode de la révolution elle-même sont lié au degré d’organisation matérielle et morale du prolétariat ».

Ainsi, en démocratie politique(qu’il oppose à la Russie d’avant 1917), Léon Blum considère que le travail d’organisation, de propagande et d’éducation est possible même en système capitaliste et même sans avoir conquis le pouvoir politique « qui est une condition nécessaire, mais non suffisante » si elle n’a pas été précédée par une transformation graduelle de la société.

Cette analyse selon laquelle la SFIO est un parti révolutionnaire se maintient donc jusqu’au Congrès d’Epinay de 1971.

3- Le nouveau Parti socialiste issu du Congrès d’Epinay en 1971 confirme et développe cette analyse : la motion finale se réfère à la stratégie d’union de la gauche, à la rupture avec le capitalisme et au front de classe des travailleurs.

François Mitterrand déclare d’ailleurs lors de son discours: « celui qui n’accepte pas la rupture - la méthode cela passe ensuite - celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi,… avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti Socialiste ».

L’article 1er de ses statuts indique en conséquence que « le Parti Socialiste est un parti révolutionnaire ».

Cet article ne sera modifié subrepticement que dans les années 19901

En conclusion , il est possible de dire avec Jean-Paul Scot « qu’il s’établit ainsi un équilibre interne instable entre l’identité révolutionnaire du parti qui portait condamnation du réformisme et l’acceptation de réformes partielles qui ne remettaient pas en cause directement le capitalisme... à aucun moment la légitimité du réformisme ne l’a emporté idéologiquement au sein du parti sur celle de la Révolution ».

Confrontons cette démarche social-démocrate avec le social-libéralisme

- II - De quoi le social-libéralisme est-il le nom ?

La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et les évènements qui suivirent jouèrent un rôle déterminant dans son développement, même si, historiquement et idéologiquement, le social-libéralisme n’a pas fait son apparition il y a une trentaine d’années

Le système soviétique avait sans doute joué le rôle d’« épouvantail » pour les Capitalistes qui, durant notamment les « Trente Glorieuses » avaient jugé sans doute plus pertinent, compte tenu des rapports de force et du contexte économique, de faire des compromis en matière de salaires, droits sociaux, services publics…

Mais, surtout, l’effondrement du système soviétique fait penser aux partis sociaux-démocrates (dont notamment le Parti Socialiste) que le marxisme a échoué et que tout projet révolutionnaire ne peut connaître que l’échec .

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, par exemple, Margaret Thatcher devient Premier Ministre du Royaume-Uni en mai 1979… et si elle le reste jusqu’en novembre 1990.

Ce n’est pas un hasard si elle prononce alors la fameuse phrase « There is no alternative » (TINA) c’est-à-dire qu’ « il n’y a pas d’autre choix » (que le capitalisme).

Ainsi, la perspective révolutionnaire qui incluait en particulier de profondes réformes de structure comme les nationalisations disparaît… et est remplacée par une totale soumission au système capitaliste.

Bien plus, en pleine déroute idéologique, lors d’un Conseil national du Parti Socialiste, Lionel Jospin contribue largement à obscurcir le débat en déclarant : «  Nous ne sommes pas des sociaux-libéraux, parce que les sociaux-libéraux sont ceux qui disent qu’il faut accepter les lois de l’économie dans leur dureté, mais faire de la compensation sociale. Nous sommes des socialistes et des démocrates, des sociaux-démocrates. Nous devons intervenir, organiser et réguler dans la sphère de l’économie mais en nous tenant à notre place » (souligné par nous).

Lors de l’adoption de sa nouvelle déclaration de principes en 2008 le Parti Socialiste déclare pour la première fois de son histoire, que « le Parti Socialiste est un parti réformiste » . 

Dès lors, il est très cohérent d’accompagner le libéralisme pour tous les partis sociaux-démocrates devenus sociaux-libéraux.

Si l’on fait un rapide balayage à ce sujet des partis européens «  frères » concernés, force est de constater que cet accompagnement se fait soit en accentuant les effets négatifs du libéralisme avec Blair en Grande Bretagne ou avec Schröder en Allemagne ou en essayant de remédier à ses effets les plus néfastes.
Néanmoins, la déroute idéologique nous paraît telle que, dans cette dernière hypothèse, les leaders sociaux-libéraux s’excusent presque de ces tentatives, en développant un fort complexe de « meilleur élève de la classe » (je viens aux affaires, mais ne vous inquiétez pas, je respecterai voire améliorerai la situation économique tout en ne chamboulant aucune des règles économiques qui sont celles de notre système puisqu’il n’y a pas d’alternative...).

Ceci nous paraît être le sens de la politique menée – notamment - par François Hollande.


En guise de conclusion…

La social-démocratie et le social-libéralisme sont donc bien radicalement différents puisque la première vise à terme à une transformation (radicale ?) du système capitaliste alors que la seconde s’inscrit totalement dans ledit système.

Quel intérêt de maintenir cette distinction ?

Plusieurs raisons, au moins, militent, me semble-t-il, en ce sens.

Tout d’abord, comme le dit très justement Yvon Quiniou, « confondre les deux ou occulter le fossé qui les sépare, c’est une imposture sémantique aussi grave que celle qui continue à dire que le soviétisme c’était du communisme et c’est tromper les citoyens ».

Ensuite, c’est admettre implicitement - sans débat - que nous perdons la bataille idéologique en acceptant ce confusionnisme entre ces deux termes. Il est en effet dans l’intérêt du système d’éliminer toute idée qu’un « autre monde est possible », qu’il y a une alternative au libéralisme et à son avatar qu’est le social-libéralisme.

Dans le même sens, le mot de réforme se trouve complètement démonétisé : les seules réformes possibles dans le système idéologiquement dominant sont des contre-réformes allant dans le sens de la finance et réduisant de ce fait les acquis sociaux telle la réforme du Code du Travail portée par la « Loi Travail » engagée par un gouvernement concrètement social-libéral.

Enfin, renoncer à une transformation révolutionnaire qui se ferait pas à pas (ce que certains appelaient le « gradualisme ») amputerait notre camp d’un outil de changement qui pourrait être particulièrement adapté à la situation actuelle.

Pierre Couttenier

Membre du Conseil national

du Parti de Gauche, exclu.

Note 

1 Se reporter à l’article de Gérard Grunberg (cf. référence ci-dessous) si l’on s’intéresse aux circonvolutions idéologiques du Parti Socialiste – ensuite - jusqu’au début des années 2010.

Bibliographie (très) sommaire

Gérard Grunberg, « Le parti d’Epinay : d’une rupture fantasmée à un réformisme mal assumé », Politique, culture, société, n°13, janvier-avril 2011.

Yvon Quiniou, « Le social-libéralisme n’est pas la social-démocratie », Médiapart, 30 janvier 2014

Jean-Paul Scot, Jaurès et le réformisme révolutionnaire, Le Seuil, 2014.

Robert Verdier, Bilan d’une scission Congrès de Tours, Idées , Gallimard, 1981.

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