07 février 2023

Compte-rendu de la visioconférence de David Cayla

(économiste, enseignant-chercheur à l’université d’Angers,

membre des « économistes atterrés »)

« Qu’est-ce que le néolibéralisme ?

Le comprendre pour le combattre »

Le pdf 

L'audio intégral

(25 janvier 2023)

Texte de présentation de la conférence

Comment caractériser la politique menée en France à partir des années 1980 ? Depuis quelques années, un concept s’est imposé dans l’analyse politique : le « néolibéralisme ». Cependant, si ce terme est omniprésent, la définition de ce qu’il recouvre n’est pas toujours très claire. Pour certains, le néolibéralisme traduirait une forme de libéralisme autoritaire ; pour d’autres, il recouvrirait une tentative d’organiser l’ensemble de la société autour du principe de concurrence ; enfin, beaucoup estiment que le néolibéralisme est intimement lié à la mondialisation financière et commerciale. L’objet de cette conférence est de clarifier la vision du monde portée par le courant intellectuel qui a fondé la Société du Mont pèlerin en 1947 et qui inspire encore aujourd’hui l’essentiel des politiques. Mais il s’agit de distinguer, dans les politiques actuelles, ce qui relève du néolibéralisme de ce qui n’en relève pas et de comprendre comment remplacer cette vision du monde par une autre permettant un véritable progrès social.


Ce compte-rendu n’est pas exhaustif et ne reprend pas forcément l’ordre exact de l’exposé. Les intertitres ont été ajoutés par les rédacteurs.

Le libéralisme et le néolibéralisme ne sont pas des théories mais des doctrines. Elles constituent deux formes d’adaptation du capitalisme à son propre développement et à la garantie de son existence.

  1. Le problème du choix

Le choix suppose une certaine autonomie, et donc une liberté d’action. Le choix individuel ayant globalement peu de conséquences, il n’a pas à rendre de compte à l’autre. Le choix collectif est décidé par une délégation de pouvoir, que ce soit au niveau politique ou pour une entreprise ou une association. Ce type de choix doit donc être argumenté et exige de rendre des comptes en vertu du principe de responsabilité. À l’échelle de la société, ces choix collectifs doivent être justifiés au niveau politique et économique.

  1. Le besoin d’un cadre normatif

Une doctrine permet de définir ce qui est « bien », autrement dit de fournir un cadre normatif. Cette doctrine peut découler d’un principe religieux, du principe de liberté (individuelle et/ou collective), etc.

Du point de vue du capitalisme, le « bien » se mesure à l’aune de l’efficacité économique. Cette efficacité doit pouvoir être quantifiée par le rapport coût / avantage (ou gain) et ainsi être utilisée pour justifier les choix opérés. Il faut que la personne en charge puisse justifier ces décisions en démontrant que l’avantage est supérieur au coût.

  1. Libéralisme et néolibéralisme

Le libéralisme est à l’origine une doctrine avant tout politique dont le but est l’émancipation des individus. Il a permis, au xviiie siècle, de justifier la démocratisation des sociétés. Dans sa forme conservatrice (libéralisme « manchestérien »), il suppose que le marché est un lieu d’échange qui se suffit à lui-même et que le rôle de l’État n’est pas d’interférer dans son fonctionnement. Ce libéralisme repose sur le principe du « laissez-faire ».

Le libéralisme de laissez-faire est entré en crise à l’issue de la Première Guerre mondiale. La crise de l’étalon-or, les contestations sociales puis la crise des années 1930 ont poussé les Etats à intervenir de plus en plus dans la sphère économique. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’économie de guerre renforce ce phénomène en imposant de donner de grands pouvoirs à l’État : 90% des prix sont administrés aux États-Unis à la fin de la guerre. Ce rôle de régulateur des États en Europe de l’ouest, au Japon, aux États-Unis… perdure jusqu’à la fin des « Trente Glorieuses ». Les États interviennent sur le montant des salaires, des conditions de travail, ils contrôlent et fixent les prix des matières premières, de l’énergie, des produits agricoles. Seuls les prix des biens de consommation sont soumis à la loi du marché.

La doctrine néolibérale, conçue lors des années 1920 et 1930, vise à mettre l’État au service des marchés. En cela, elle s’oppose au « laissez-faire » prôné par le libéralisme « manchestérien ». Selon cette doctrine, le marché n’est pas un simple lieu d’échange mais un système permettant de déterminer des prix qui reflètent la vraie valeur des choses. Elle repose sur trois constats principaux :

  • la concentration industrielle aboutit à la création de monopoles, donc à la baisse de la concurrence et, à terme, à la disparition des prix de marché ;

  • la monnaie doit être dépolitisée pour éviter que les interventions de l’État dans ce domaine ne viennent dénaturer l’information véhiculée par les prix ;

  • des marchés trop étroits limitent les choix, ce qui rend les prix peu pertinents pour calculer la rationalité de manière efficace.

La doctrine néolibérale entend favoriser le libre-échange généralisé (des produits, des flux financiers…) et le développement des marchés en tant qu’instrument de détermination de la valeur. L’État doit rester un arbitre neutre dont le rôle est de fixer les règles du fonctionnement du marché. Le pouvoir politique doit être en retrait. Il doit se limiter à des interventions sur le cadre et non à l’intérieur des marchés.

Il existe trois grandes écoles du néolibéralisme :

  • l’ordolibéralisme suisse-allemand (Eucken, Röpke)

  • l’école de Chicago américaine (Friedman)

  • l’école autrichienne (Hayek)

  1. La mise en place

Elle s’affirme durant les années 1970 et 1980. En France, le Parti Socialiste contribue activement à installer le néolibéralisme avec, comme principal artisan politique, le Président de la Commission européenne Jacques Delors en 1986 avec l’instauration de l’Acte unique qui donne naissance au marché unique. La décision d’affaiblir le pouvoir politique n’est pas assumée.

Une partie de la « Gauche » préfère augmenter la capacité à consommer plutôt que de développer les services publics (l’État devient pourvoyeur d’allocations plutôt que de services publics). Dans le premier cas, plutôt que d’améliorer les salaires, l’État néolibéral privilégie l’achat, et donc le fonctionnement du marché. Par exemple, plutôt que de consacrer x euros à l’enseignement public, il préfère « donner » x euros aux ménages qui choisiront une éducation privée. Dans le second cas, l’argent public participe du profit privé sans contrepartie.

Le marché unique et la libre circulation du capital en Europe, ainsi que la mondialisation pousse chaque État à chercher à devenir plus attractif que son voisin. Cela conduite à multiplier les cadeaux fiscaux afin d’accroître les profits des entreprises. Le jeu de la concurrence pousse ainsi chaque État à chercher à attirer les « facteurs de production mobiles », c’est-à-dire les investissements des entreprises.

Plus largement, le néolibéralisme pousse à réguler la société par la concurrence, y compris de manière artificielle. L’objectif est d’arriver à la « rationalisation », c’est-à-dire à permettre aux marchés de déterminer des prix.

Le développement des paradis fiscaux est une conséquence de l’ouverture des frontières et de la libre circulation des capitaux. Ils pourraient rapidement et simplement être neutralisés par les pouvoirs politiques en renonçant à ce principe, malheureusement gravé dans le marbre des traités européens.

  1. L’idéologie néolibérale et ses propres contradictions

Le néolibéralisme s’applique aussi, par exemple en France, aux télécommunications, à l’énergie, à l’ensemble des services publics. Si l’on prend le cas de l’énergie électrique, la lutte contre le monopole (monopole d’État) réduit l’efficacité du secteur puisque celle-ci est directement fonction de la taille de l’entreprise. L’éclatement du secteur et la création d’un marché de fournisseurs le marché ont pour conséquence de faire décrocher les prix des coûts de production réels. Les premières victimes, parce que les plus gros consommateurs, sont les industriels : « leur » doctrine s’oppose ainsi directement à leurs intérêts… Le marché de l’électricité est le produit d’une pensée purement abstraite et idéologique nourrie par des théories économiques absurdes.

Parallèlement, cette théorie n’est déjà plus mise en pratique dans certains domaines, notamment dans la finance puisque ce sont aujourd’hui les banques centrales qui contrôlent le coût de l’argent (les taux d’intérêt à long terme via le quantitative easing).

De même le principe du prix du carbone illustre l’impasse idéologique du néolibéralisme dans la lutte contre le dérèglement climatique. En effet, l’impossibilité de quantifier réellement le coût d’une tonne de carbone dans la dégradation de l’environnement a abouti à l’émission de « droits d’émission de carbone » pouvant s’échanger entre entreprises. De cette manière, le montant est fixé par le marché – un marché organisé entre pollueurs.

Le néolibéralisme n’a pas conquis tous les secteurs. L’exception culturelle française reste un coin enfoncé dans le dogme avec, par exemple, le prix unique de chaque livre fixé en dehors des règles du marché.

  1. Conséquences politiques

Le néolibéralisme est impuissant à résoudre les problèmes des gens (salaires, coût de la vie, services publics…), car l’État est dépossédé de ses moyens d’action. Il ouvre la voie aux « populismes » en nourrissant la colère du « peuple » contre les « riches », contre les « élites », gommant alors des intérêts de classe opposés, à commencer par l’exploitation du travail.

  1. Une piste pour combattre le néolibéralisme

Les populations voient et subissent les méfaits du néolibéralisme. Ce ne sont donc pas elles qu’il faut convaincre, mais les élites. Par conséquent, il faut changer la doxa diffusée au sein des grandes écoles (ENA, Sciences-po…).

Deux ouvrages et une note pour aller plus loin :

David Cayla, Populisme et néolibéralisme (2020) et Déclin et chute du néolibéralisme (2022).

David Cayla « Comment et pourquoi le marché de l’électricité a déraillé » (janvier 2023) : https://www.atterres.org/comment-et-pourquoi-le-marche-de-lelectricite-a-deraille/

Voir aussi :

Jacques Généreux, La Déconnomie. Quand l’empire de la bêtise dépasse celui de l’argent (2016).

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