Compte-rendu de la visioconférence de
Willy Pelletier
(sociologue
à l’université de Picardie)
« Le vote RN »
(24 mai 2023)
Texte de présentation de la conférence Il
n’est plus impensable que le Rassemblement national (RN) gouverne. Pour
quelles causes sociales ? Faut-il parler d’une fascisation de la
société française? Les gens qui votent Le Pen sont-ils des abrutis ou
des salauds ? Suffit-il d’indignations morales pour faire reculer ces
votes ? Peut-être que c’est nettement plus compliqué. Et qu’il faut enfin
comprendre les raisons enchevêtrées des votants Le Pen pour s’opposer
efficacement au déferlement des votes. Ce qui suppose d’aller au
plus près des gens qui votent RN. Pourquoi le vote en faveur du RN dans l’électorat populaire ne cesse de croître alors que les dénonciations du RN sont nombreuses ? Pourquoi tant d’indignations vertueuses, d’opérations anti-meetings RN, de démonstrations théoriques et de diabolisation qui n’aboutissent pas ? |
Il faut prendre au sérieux les électeurs du RN (qui ne sont pas des bêtes1), se libérer de ce « racisme social », mais aussi dépasser et déplacer le stade de la dénonciation – inutile – et analyser les causes sociales de ce vote.
Sortir des sentiers battus, combattre les idées fausses
aLe vote RN n’existe pas. Il existe des votes RN.
Contrairement à ce qu’affirment les dénonciations du RN et des électeurs RN, il n’y a pas de résurgences périodiques de la « bête immonde ».
Le RN est différent du FN. Il n’y a pas de véritable continuité transhistorique : ce ne sont plus les mêmes cadres dirigeants, le même budget, les mêmes communicants, les mêmes électeurs.
De plus, les électeurs ne sont pas fidèles à la « marque » mais davantage volatils. D’ailleurs, la moitié des électeurs qui avaient voté pour Jean-Marie Le Pen en 2002 ont voté différemment en 2017 et en 2022 (on le sait grâce à l’analyse des résultats par bureaux de vote et grâce aux sondages).
aIl existe plutôt un conglomérat électoral composé de catégories sociales aux intérêts différents. Les votants sont disparates et divisés. Mais ils sont réunis dans l’usage du bulletin de vote RN.
aLeurs
raisons de voter RN peuvent même être contradictoires : ainsi,
on trouve des professions libérales, des auto-entrepreneurs, des
indépendants défavorables par principe aux aides sociales et des
salariés qui veulent davantage d’aides (mais pour eux, pas pour
les autres). Les votants n’entendent donc pas la même chose quand
ils votent en faveur de Marine Le Pen.En
outre, beaucoup de personnes ne sont pas forcément d’accord avec
le programme ; certains sont même en désaccord.
aIl se répète à l’envi que les ouvriers votent massivement en faveur du RN2, poussant la Gauche à se concentrer sur les milieux urbains et pensant que les milieux populaires recherchent l’autoritarisme. Or, moins d’un tiers des ouvriers et employés votent pour le RN et moins d’un quart des chômeurs. En réalité, ces catégories sont plutôt abstentionnistes. Du reste, mathématiquement parlant, l’augmentation des pourcentages en faveur du RN s’explique aussi à cause de l’abstention populaire.
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Deux études de cas (enquêtes de terrain) de vote en faveur du RN
a L’habitat pavillonnaire périurbain :
Il ne s’agit pas d’un vote de relégation, de déclassement – comme on le dit souvent.
Cet électorat pas précaire (fraction supérieure des classes populaires) est composé de personnes qui ont connu une (petite) promotion sociale mais se considérant sans reconnaissance. Elles votent RN, car elles se sentent fragilisées dans l’avancée de leur promotion au travail, refusent ou redoutent le recul de l’âge de départ à la retraite, ont encore des crédits à rembourser, ont des incertitudes quant à l’insertion professionnelle de leurs enfants.
Leur impression est que « ceux d’à-côté » s’en sortent mieux.
a La France rurale pauvre (notamment l’Aisne3) :
Dans ces secteurs ruraux pauvres, l’augmentation du vote en faveur du RN est énorme – et même la plus importante. Ce parti obtient 75% dans beaucoup de communes de Picardie. Il s’agit surtout des bourgs et petites villes.
Quelles sont les raisons de ce vote ? Pour comprendre, il fait s’intéresser aux conditions sociales et à la structure des relations sociales.
Il n’y a plus de bureaux de Poste, plus de médecins, de pharmacies, d’infirmières, de magasins, de bistrots ; l’accès à Internet y est moyen ; des classes ou des écoles ferment, tout comme les églises, les associations de sport, les sociétés de majorettes, les sociétés de chasse, etc. – c’est-à-dire tous les lieux de rencontre où les gens se voyaient, se parlaient. Les gens avaient l’impression de compter, d’être un peu quelqu’un, de ne pas être rien.
À cela s’ajoutent les incertitudes sur le revenu. Le volume des impayés à EDF augmente ainsi que les violences (intrafamiliales, agressions envers les femmes…) ; dans chaque village, il y a de plus en plus de maisons détériorées ou en ruine, d’autres sont en vente. Ces secteurs sont également de plus en plus enclavés : des trains sont supprimés, les routes sont de moins en moins entretenues, les cars circulent de moins en moins. Dès lors, les enfants vont voir leurs grands-parents de moins en moins souvent, les infirmières circulent de moins en moins. Les anciens sont trop pauvres pour secourir les enfants, et vice-versa. Les centres d’impôts ont fermé. Aussi des gens précarisés ne reçoivent plus certaines aides, car ils n’ont pas su remplir leur déclaration d’impôts. Les maisons France Service n’apportent pas l’aide souhaitée, car elles ne traitent pas les dossiers ; elles ne font que fournir un outil (informatique).
C’est une population immobilisée et isolée dans un espace en déclin. C’est la France des mobylettes ! Les humains ont l’impression de n’être plus que des dossiers. On est en présence d’un monde qui ne tient plus, avec des gens qui ne tiennent plus. Les gens ne sont pas ensemble. C’est pourquoi ils sont vite « contre » (contre tout, contre tous : contre son voisin, contre l’étranger…). Comme on est de plus en plus dans le phantasme, l’amertume s’exerce aussi de plus en plus. C’est frappant de constater l’augmentation du nombre de dénonciations envoyées aux centres d’impôts ainsi que celle des collectifs « Voisins vigilants ». Une idée de soi-même est donc liquidée.
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Que signifie le vote RN ?
a Les phrases « Nous sommes chez nous », « Nous sommes Français » sont révélatrices d’un état d’esprit : c’est, pour ces gens, la dernière identité qu’il leur reste. Ils se réévaluent, se rétablissent dans l’estime d’eux-mêmes. Ce rehaussement symbolique se manifeste le temps du vote.
Le vote RN s’accompagne d’un besoin de virilisme : « Je suis un vrai mec, il me reste au moins ça. » Virilisme qui se manifeste aussi chez les électrices du RN (« Marine Le Pen a su s’imposer dans un milieu masculin, s’émanciper de son père, de ses compagnons, elle a divorcé. »).
C’est tout cela que porte le vote RN : une affirmation de soi.
aIl ne faut pas oublier non plus que la mondialisation et le néolibéralisme ont rendu impossible la conscience de classe.
Cette conscience était présente quand pouvaient exister des collectifs existant sur la longue durée. Mais, aujourd’hui, il y a de moins en moins d’usines. Les gens sont en CDD ou intérimaires. Ils ne peuvent pas agglomérer leurs griefs, ni même aller voir physiquement leur adversaire (le patron) ; ils ne le connaissent pas (le grand patron de la multinationale, les actionnaires, la grande Finance sont invisibles ou immatériels). Les gens sont mis de plus en plus en concurrence. C’est la grande victoire du capitalisme !
La proximité et les rencontres créées au moment du mouvement des Gilets jaunes ont été brisées par les confinements dus à la crise du Covid-19.
Que reste-t-il pour se définir quand plus rien d’autre ne nous définit ?
Comment faire reculer le vote RN ?
aArrêter avec les croisades morales, totalement inutiles et qui confortent le vote RN4.
aArrêter de croire qu’il suffit d’une campagne électorale en appelant le vote des « fâchés pas fachos » sans changer les racines sociales du problème.
aComprendre d’abord
les raisons sociales de ce vote et mener des actions pour faire en
sorte que ces raisons n’existent plus : par exemple, comme les
communes n’ont plus assez de moyens, créer des centres d’aide
d’urgence sociale (pour apporter les services que ne remplit plus
l’État – vide dans lequel s’engouffre le RN, pour se
parler, pour apporter des outils, de l’aide pour remplir des
documents, pour faire les courses…)5.
Il faut cependant que ce soient les gens « du coin » qui
s’impliquent pour les gens « du coin ».
a Mener l’analyse du vote RN dans les « quartiers » populaires (pas effectuée ici).
a Reconstituer les visions des divisions du monde social.
Conclusion :
Même
si Marine Le Pen ne gagne pas, elle gagne quand même dans le sens où
il existe une translation des idées et propositions de mesures du RN
vers LR et les macronistes.
Pour aller plus loin :
Gérard Mauger et Willy Pelletier (coord.), Pourquoi tant de votes RN dans les classes populaires, Vulaines sur Seine, Éditions du Croquant, coll. « Savoir/Agir », 2023.
1 Dans les deux sens du terme.
2 Théorie de la Fondation Terra Nova ou de la Fondation Jean Jaurès.
3 Le vote RN est passé de 69 à 79% entre 2017 et 2022.
4 Ne pas oublier, par exemple, que, souvent, le chasseur partage son gibier avec ses voisins.
5 Ce que faisait le PCF dans les années 1950 auprès de la classe ouvrière, ce que faisait Syriza en Grèce à ses débuts, ce que font les forces islamistes.
Salut les amis !
RépondreSupprimerMoi aussi j'ai beaucoup apprécié cette conférence et notamment le ton et l'angle pris par l'orateur.
Enfin, on sort des slogans faciles et des incantations. On s'attaque aux vraies questions comme l'impact du RN dans le rural !
Je voudrais insister sur un passage de l'audio qui me touche de près : dans les années 70, en tant que communiste, j'étais dans les étages des immeubles d'Argenteuil pour distribuer des tracts et livrer l'Huma Dimanche. J'étais aussi aux postes de vente de l'Huma Dimanche sur le marché ou à la sortie des bars PMU. Les discussions étaient riches et utiles. On parlait des problèmes des gens que l'on avait en face qui souvent nous demandaient d'être les relais avec la mairie communistes pour les aider à résoudre leurs problèmes. De cette façon, les élus étaient proches des habitants et la politique avait un sens positif. Au passage, j'indique que personne n'avait éprouvé le besoin de nous enseigner une méthode quelle qu'elle soit pour faire du porte à porte, au contraire des zouaves LFI qui sont toujours très fiers de réinventer doctement le fil à couper le beurre au lieu de parler de et débattre de politique !
Pourquoi je dis ça ? Parce qu'à cette époque nous les militants, nous avions des convictions, une culture politique, une conscience de classe et la lutte des classes n'avait pas disparue des boîtes !!! C'est tout ce qui manque aujourd'hui pour étriller le RN, notamment ! Pas besoin de gueuler comme des malades à l'Assemblée Nationale !
C'était mon petit coup de gueule... Encore merci à Céline Patrick et Willy pour ce très bon moment politique !