Jean-Claude Simon est un Camarade qui réfléchit depuis longtemps sur l'Écosocialisme et ses conséquences idéologiques. Il vit au Danemark et fait partie de Négawatt et mène des recherches avec Transform europe ! Sur l'économie politique ainsi que sur la transition socio-écologique. |
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Réflexions sur l’écosocialisme et l’émancipation
Prise du pouvoir et constitution
La prise du pouvoir par notre bloc social sera le résultat d’une révolution car pour changer d’économie politique et transformer le mode de production capitaliste (MPC), la révolution, c’est-à-dire un changement de paradigme, est nécessaire. Jamais une classe sociale au pouvoir n’a accepté de se retirer, et la bourgeoisie, nous l’avons vu à plusieurs reprises, n’acceptera pas. Il est possible que nous parvenions au pouvoir à la suite d’un blocage économique causé par une grève générale, par voie électorale, par réaction à une tentative de coup de force ordo-libéral (comme en Grèce en 2015), à la suite d’une crise de légitimité du régime provoquée par un krach financier ou une pandémie ; nul ne peut prédire ces conditions de changement historique. Dans tous les cas de figure, il nous faudra introduire une nouvelle constitution avec trois éléments spécifiques. D’abord le changement du régime de propriété avec la primauté de la propriété sociale des moyens de financement, de production et d’échanges ; deuxièmement, la reconnaissance des communs, de l’usufruit des communs, et de l’usage instituant des communs par la pratique militante (négation en acte du droit de propriété1) ; troisièmement un nouveau cadre légal reconnaissant le droit à l’autogestion dans toutes les entités économiques et administratives. Ces trois éléments sont les préconditions nécessaires pour mettre fin à la subsomption réelle du travail sous le capital.
Émancipation du travail
Afin d’émanciper le travail, il faudra prendre à la bourgeoisie le pouvoir de l’acheter et de le transformer en salariat (la subsomption formelle sous le capital). Le travail aura un statut de commun ; il deviendra donc inaliénable et sera placé hors-marché. On comprend donc pourquoi une nouvelle constitution doit être bâtie sur le principe du ‘commun de la démocratie’ défini par Pierre Dardot et Christian Laval ainsi que sur la primauté de la propriété sociale des moyens de financement, de production et d’échanges. Le principe du commun de la démocratie est très clair :
« Pas d’exécution sans part égale de tous dans la décision…. Seule la coparticipation à la décision produit une co-obligation dans l’exécution de la décision…. Ceux qui sont chargés de mener une tâche à bien sont ceux qui ont le droit de décider du rythme de travail, et la seule instance habilitée à édicter des règles à cet égard est le collectif de ceux qui auront à s’y conformer »2
Pour ce qui est de la propriété sociale, comme le note les deux auteurs, il faut défendre l’idée que les questions relatives à la production et à l’usage de ses moyens – les lieux de leur implantation, les choix technologiques pour leur développement – relèvent d’abord de la décision de la société toute entière, et ensuite de celle du travailleur collectif qui en assure l’usage productif ; la prise de décision à leur sujet devant emprunter des formes démocratiques renouvelée3. Voyons donc ce que sont ces formes.
Socialisation
et autogestion :
dans un premier temps, les entreprises transnationales et leurs réseaux
de PME économiquement dépendantes, les secteurs stratégiques, les entreprises
du CAC 40, celles essentielles pour la transition énergétique, et celles
qui ont fraudé le fisc ou sont coupables de crimes économiques deviendront
propriété de la nation, non pas pour être étatisées, mais pour que leur
socialisation soit effective dans le cadre de pratiques autogestionnaires
(le cas des transnationales étrangères sera décidé par des négociations).
Ceci est très important car il ne faut pas confondre étatisation et socialisation.
Le mécanisme d’activation de la socialisation et du commun de la démocratie
sera l’autogestion qui s’appliquera à tous les domaines de l’économie
politique car c’est seulement en construisant une république autogérée
que la société s’émancipera :
«
L’enjeu est immense. Une autogestion imposée d’en haut, même par ‘l’État
des Travailleurs’, ne serait qu’une caricature. Il ne s’agit plus seulement
de réaliser la propriété collective des moyens de production, mais de
transformer moyens et fins de production. Il faut penser l’appareil de
production comme Marx a pensé l’État : la société ne peut pas seulement
s’en emparer et le faire tourner tel quel, elle doit le modifier profondément
en tenant compte de ses besoins, des conditions de travail, des contraintes
écologiques… sans cette transformation, l’appareil de production risquerait
d’échapper aux producteurs et aux citoyens en développant ses tendances
au gigantisme, comme tout état a tendance à développer sa logique et à
se bureaucratiser »4
Cette nouvelle forme de propriété sociale mettra un terme à la ‘création d’entreprises’ qui sera remplacée par la création de nouvelles entités économiques basées sur l’association de producteurs libres (collectifs de travail autogérés et coopératives). En accord avec les principes autogestionnaires un nouveau code du travail établira le droit des salariés à se regrouper en conseils ou comités ainsi que leur droit de vote sur les activités de gestion ; ces conseils/comités auront vocation à se coordonner au niveau local et régional dans le cadre de la république autogérée avec d’autres comités basés sur les lieux de résidence, les municipalités ou les régions afin de participer à l’évaluation des besoins.
Dans
les entités économiques non concernées par les mesures de prise de contrôle
par la nation, c’est-à-dire les entreprises moyennes et petites qui ne
sont pas totalement imbriqués et captives des réseaux de la mondialisation
du MPC, les salarié(e)s décideront par leur vote des mesures à prendre
pour instaurer les pratiques autogestionnaires et l’extension de la démocratie
sociale. Par ces mesures de démarchandisation du travail nous entrerons
donc dans une phase de transition vers le socialisme autogéré puisque
l’appropriation privée des fruits du travail social aura cessé dans les
collectifs qui jouiront de l’usufruit permanent des moyens de production.
Les collectifs/coopératives ne pourront pas être vendus et produiront
en fonction des besoins ; ils seront placés en dehors des habituels circuits
du capitalisme financier.
Fin
du chômage :
dans le cadre de cette transition la responsabilisation sociale des agents
économiques privés et publics sera instituée par le loi afin d’arrêter
dans un premier temps la progression du chômage, et éventuellement d’y
mettre fin. Dans le cadre du développement du nouveau code du travail
sera institué le principe du ‘licencieur payeur’ et du reclassement obligatoire
qui évoluera en parallèle avec les progrès de l’autogestion. Les entités
économiques seront responsables du paiement intégral du salaire et des
cotisations sociales jusqu’au reclassement des personnes licenciées. Ce
reclassement devra respecter les qualifications et les contraintes familiales
et de résidence de ces personnes. Ainsi les responsables se verront responsabilisés
et la notion de chômage disparaîtra au fil du temps avec la généralisation
de la propriété sociale et la disparition du salariat. Pour ce qui est
des entités économiques en situation de faillite durant la période de
transition, un organisme public sera créé afin d’organiser soit le reclassement
de la force de travail, soit la création d’un ou de plusieurs collectifs
de travail à partir de l’entité en faillite.
Transformer la production avec la démocratie de base : afin de traduire la socialisation en termes de pratique quotidienne, la transformation des processus de production à l’intérieur des collectifs de travail sera une priorité essentielle ; ceci afin de mettre fin à la coupure entre dirigeants et exécutants qui est le propre du capitalisme managérial (pensons l’appareil de production comme Marx a pensé l’État).
Aujourd’hui,
tous les grands systèmes de travail, leur conception, leur mise en oeuvre,
leur contrôle, leur évolution sont organisés par les agents du profit
au service du capital. C’est la réalité quotidienne de la subsomption
réelle du travail sous le capital. Il est donc essentiel de défaire cette
situation, mais ce sera difficile car les compétences requises sont entièrement
aux mains du capitalisme managérial.
L’autogestion
devra donc imposer avec l’aide d’une nouvelle législation la transformation
progressive de la division capitaliste du travail dans tous les collectifs
jusqu’à ce que le despotisme managérial ne soit plus qu’un mauvais souvenir.
Les conseils/comités seront les agents de la mise en œuvre de cette transformation
qu’il faudra intégrer dans les pratiques du travail quotidien. Ce sera
une transformation sur le long-terme. Des décisions cruciales seront nécessaires
dès le départ, à commencer par le contrôle ouvrier, c’est à dire un droit
de veto et de proposition pour tous les membres des collectifs concernant
les décisions prises par la technostructure managériale.
Ces
structures managériales seront refondées en profondeur afin d’assurer
la polyvalence de tous les intervenants et leur implication dans la prise
de décision (démocratique) à tous les niveaux. Les bureaucraties de contrôle
et de surveillance seront placées sous la responsabilité des comités puis
progressivement abolies. L’échelle des revenus du travail sera initialement
ramenée de 1 à 4 et les membres des collectifs pourront voter des changements
dans le sens de plus d’égalité. Avec le temps et les progrès de la formation
qui sera intégrer au travail quotidien, les producteurs assemblés en conseils/comités
assureront directement le contrôle, la gestion et, l’évolution technique
et organisationnelle du travail sans avoir à obéir à une technostructure
preneuse d’ordre du capital. Les conseils d’administration, une structure
essentielle du pouvoir bourgeois, seront remplacés par des conseils de
surveillance composés de producteurs élus, d’utilisateurs/clients, de
représentant(e)s des organisations populaires locales et régionales et
de délégués des structures de planification des besoins.
Comme
le note très bien les auteurs d’un texte sur l’autogestion publié en 2018
: «
La résistance à la barbarie, aux despotismes et à la mondialisation néolibérale
ne pourra se construire que par l’extension universelle des formes d’autogestion
sociale et des citoyennetés capables de s’articuler entre elles dans leurs
multiples objectifs et intérêts »5.
C’est sur le terrain de la production que cette résistance au despotisme
se jouera au quotidien face à l’emprise du capitalisme managérial. Nous
aurons ainsi réussi lorsque les entités économiques du MPC seront devenues
des institutions de la société démocratique et que le travail aura été
libéré de l’emprise du capital. Il faut faire disparaître tous les lieux
d’autocratie patronale et actionnariale.
Émancipation
de la nature.
L’agenda
écosocialiste. La question est : que faire pour que l’usufruit de la nature
(la terre) devienne une réalité ? La réponse se trouve dans la pratique
d’un écosocialisme autogéré par notre bloc social. Plusieurs pays dont
la Belgique, l’Allemagne, le Danemark, la France et d’autres ont développé
des modèles très détaillés de transition énergétique basés sur 100% de
sources renouvelables. C’est la seule façon de réduire les émissions de
CO2 et de méthane et de mettre un terme au réchauffement climatique et
à l’effondrement de la nature. C’est là notre première priorité. De très
nombreuses associations et organisations politiques européennes travaillent
aujourd’hui sur ce sujet et sur des projets de ‘communs de la nature’.
Le
point de départ de la mise oeuvre pratique sera que la nature, et ce que
le capitalisme nomme ‘les ressources naturelles’ deviendront des communs,
tout aussi inaliénables que le travail ; c’est la pratique instituante
du mouvement écosocialiste (la création de communs) qui déterminera comment
gérer les sources d’énergie renouvelables et les ressources naturelles
qui seront réservées pour l’usage commun et qui ne seront pas appropriables.
Dérivé de la nouvelle constitution, le cadre légal guidera la transition
écologique de l’économie et le développement de modes de production, de
consommation et d’échanges plus sobres dans le cadre du nouveau régime
de propriété sociale. Ces modes ne seront plus axés sur la productivité
et le profit mais sur l’éco-centrisme et le respect des ressources naturelles,
sur la valeur d’usage, l‘intérêt général des classes populaires, et l’implication
de tous selon le mode autogestionnaire. La transformation du cadre légal
permettra d’institutionnaliser les conseils et comités de quartiers qui
s’impliqueront avec les collectifs de travail et interviendront comme
‘pouvoir populaire’ dans les activités de planification et de gestion
des communs de la nature et de la terre. Cette intervention politique
populaire sera donc au cœur de la transformation dont elle sera l’agent
actif principal. Elle est essentielle pour obtenir des résultats.
L’organisation
de la planification écologique sera une phase clé de la mise en oeuvre
de l’écosocialisme ; elle se fera à partir d’un Commissariat à la Planification
Écologique (ou une entité similaire) qui aura la responsabilité du projet
et en développera les axes principaux en collaboration et coordination
étroite avec les organisations de participation populaire dans les régions,
les municipalités et les entités économiques et administratives. Afin
de prévenir un éventuel contrôle et une mauvaise mise en place de la transition
écologique par des adversaires politiques toujours en poste dans les appareils
d’état, il sera essentiel de créer un mécanisme dit de ’bas en haut’ comprenant
à la fois une remontée des demandes populaires et le contrôle de toutes
les décisions par des assemblées et des conseils locaux. C’est là un volet
institutionnel très important ; il ne doit pas s’agir d’une autogestion
animée de haut en bas par l’état mais d’un mouvement qui partira de la
base ; l’état sera, comme le recommande les zapatistes, en situation de
montrer la voie en obéissant. Il s’agit donc de mobiliser la puissance
d’intervention des classes populaires comme nous l’avions vu en Italie
avec ‘l’automne chaud’ de 1969 ou au Chili avec la création des ‘cordons
industriels’ en 1972-73, mais avec en plus la dimension écocentrique.
Sept mesures ‘alternatives’ seront la force motrice de la transformation
:
1). Mise en place de la transition énergétique et création d’un pôle public
de l’énergie afin d’atteindre l’objectif 100% renouvelables au plus tard
en 20506.
2). Démondialisation de l’industrie (fabrication et services) et relocalisation selon les objectifs déterminés par les différents territoires afin de créer les conditions de développement durable et équilibré. Établissement de circuits ‘d’économie circulaire’ sous la responsabilité des conseils/comités de collectifs de travail et de quartiers. Mise en place d’un plan de transition pour la fermeture des secteurs les plus nuisibles (nucléaire, industries des énergies fossiles, engrais chimiques, publicité, industries du gadget, etc.) et la reconversion du complexe militaro-industriel (sept grands groupes en France) dont les technologies sont essentielles pour la transition énergétique.
3). Semaine de travail de 4 jours (28 heures) incluse dans le nouveau
code du travail. Ceci afin de libérer du temps pour que les citoyens puissent
s’impliquer dans les associations travaillant sur la transition énergétique
et aussi afin de baisser la consommation d’énergie des secteurs industriel
et agricole pour parvenir avant 2050 à une réduction de 30% sur la base
2015.
4). Mise en place d’une autorité du transport public dont la responsabilité
sera la construction de réseaux très denses de transports non-polluants
(rail, routes et fleuves) et le lancement d’une politique publique de
la mobilité. Le transport routier sur les longues distances sera réduit
à un service minimum et de nouveaux types de véhicules à ‘hydrogène propre’
seront construits.
5). Transformation des pratiques agricoles sur la base d’un plan de transition
écologique sur 15 ans. Développement d’une véritable agriculture paysanne
biologique de taille humaine offrant des produits alimentaires de qualité
pour tous (voir modèle des Nations Unies ‘Smallholder ecologies’ et Scénario
Afterres 2050 pour la transition). Mise en place de plans régionaux pour
la souveraineté alimentaire. Refondation de tous les accords commerciaux
en parallèle avec la fin du capitalisme agraire.
6). Nouvel aménagement des territoires et politiques urbaines axées sur
l’éco-centrisme. Refondation de la notion de développement et de croissance
afin de mettre un terme à l’urbanisation à outrance qui fait partie du
mode opératoire du MPC. Rénovation des constructions résidentielles, commerciales
et industrielles avec mises aux normes (bandes A et B de performance énergétique).
7). Mise en place d’un grand plan de création de collectifs de travail
pour accélérer la transition en liant la recherche (comme par exemple
sur l’hydrogène) et l’application pratique immédiate. Lancement d’un plan
prioritaire ‘ travail-pour-le-climat’ combinant l’action publique, la
création de collectifs de travail autogérés avec financement bancaire
(sans capitaux propres) et l’implication des organisations syndicales.
Émancipation
de la monnaie
Les ordo-libéraux et les capitalistes/rentiers considèrent que l’argent n’est pas un équivalent général ou un moyen de paiement, mais du capital-argent pleinement intégré aux circuits du MPC. C’est donc grâce à e capital-argent que le cycle de réalisation de la plus value A-M-A’ (argent-marchandise-argent augmenté), la base même du capitalisme industriel a pu se transformer en cycle A-A’ (argent-argent plus rente), la base du capitalisme rentier.
Les
états sont aujourd’hui en mesure de déclarer que la dette est obsolète
et qu’elle doit donc être annulée. Ce sera l’euthanasie des rentiers selon
la formule de Keynes ; elle pourra être confirmée par référendum.
Tous
les actifs financiers contrôlés par des banques ou des investisseurs institutionnels
seront réquisitionnés par la puissance publique et placés dans des collectifs
de travail ou des coopératives comme propriété sociale. Sous contrôle
populaire, les administrations régionales
seront en mesure de révéler l’identité des détenteurs et bénéficiaires
de la dette publique et de faire la lumière sur toutes les transactions
impliquant les obligations d’état. il sera e effet nécessaire de déterminer
qui a profité de l’augmentation de la dette afin que les poursuites judiciaires
contre les ‘banksters’ puissent être organisées.
La
monnaie sous souveraineté populaire.
Le principe de démocratie monétaire (monnaie citoyenne) et la définition
de la monnaie comme moyen d’échange de base seront inclus dans la nouvelle
constitution, la base institutionnelle de la révolution vers l’émancipation
de tous. Une nouvelle banque centrale dont le conseil d’administration
sera révocable, sera instituée. Contrairement à la BCE, cette banque fonctionnera
comme une banque centrale ‘normale’ afin de coordonner les politiques
monétaires et fiscales à une échelle décidée démocratiquement au
niveau régional, national et européen. De plus cette gestion démocratique
se fera sous contrôle du peuple et non plus de la nation afin d’en garantir
la souveraineté. L’argent deviendra donc un commun, un moyen d’échange
partagé qu’il ne sera pas possible d’aliéner ou de s’approprier dans un
cycle de type A-A´. Dans un premier temps, le contrôle total des mouvements
de capitaux sera institué, ainsi que la fermeture de tous les marchés
secondaires permettant aux capitalistes de transformer leurs actifs en
capital-argent (les différentes bourses). Le taux d’intérêt sera contrôlé
par la banque centrale afin de diriger l’épargne populaire vers les activités
prioritaires ; ce sont là des éléments essentiels de l’économie politique
du travail.
Jean-Claude
Simon
Collectif L’exigence démocratique !
Janvier 2022
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Pierre Dardot et Christian Laval, Commun : essai sur la révolution au XXIe siècle, (Paris : Éditions la découverte, 2014), 481.
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Pierre Dardot et Christian Laval, Commun : essai sur la révolution au XXIe siècle, 87.
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Maxime Bénatouil, Marc Delepouve, & Jean-Claude Simon (eds.), A new energy to change Europe (Brussels : Transform Europe edossier, 2016) 8-37. https://www.transformnetwork. net/fileadmin/_migrated/news_uploads/edossier_anewen ergytochangeeurope_final.pdf
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Construire le bloc social pour l’écosocialisme
Aujourd’hui, le mode de production capitaliste (MPC) mondialisé et ses alliés politiques dans la plupart des gouvernements Européens sont confrontés à de multiples formes de résistance à leurs prétentions hégémoniques ; l’ordo-libéralisme est en crise, la situation politique est très fluide. Au Royaume-Uni, en Italie, en France, en Espagne et en Allemagne, la confusion s’amplifie sans alternative en vue.
Dans la plupart des pays, le bloc bourgeois reste au pouvoir mais n’est plus vraiment hégémonique. En termes sociologiques, ce bloc au pouvoir représente environ 20% à 25% de la population dite ‘économiquement active’ composée à 90% de salariés, et aussi de capitalistes et de professions libérales. Il peut aussi compter sur les retraités à hauts revenus ayant des portefeuilles financiers, ainsi que sur les strates supérieures des personnes travaillant pour leur propre compte (à ne pas confondre avec les ‘autoentrepreneurs’ travaillant pour Uber ou Just Eat), sur les artisans, et sur ce qui reste de la petite bourgeoisie traditionnelle, particulièrement le commerce de détail. Ce n’est visiblement pas assez pour être hégémonique – c’est à dire pour construire un bloc historique au sens Gramscien du terme – et pour consolider son pouvoir par la voie électorale.
Les échecs du Mouvement Cinq Étoiles et de la Liga en Italie nous offrent une bonne caricature de la crise politique qui se traîne. Les erreurs répétées du Parti Travailliste au Royaume -Uni qui ne parvient pas à se réinventer et se fait torpiller par le nationalisme écossais et le Brexit en est un autre exemple, de même que le naufrage de Podemos et la disparition politique de son leader ‘historique’. Hors d’Europe, des mouvements lancés par la classe moyenne salariée, les étudiants, et marginalement soutenus par la classe ouvrière ont depuis une douzaine d’années déstabiliser les pouvoirs en place (Égypte, Tunisie, Algérie, Chili, Iran).
Pour rétablir leur hégémonie, les gouvernements bourgeois tentent d’élargir leur assise sociologique en faisant appel à des syndicats et organisations dites ‘réformistes’, c’est-à-dire en faveur de la collaboration de classe et de ce que la nov’langue ordo-libérale appelle la consultation des partenaires sociaux ; une définition qui symbolise bien la démarche du MPC puisqu’elle repose sur une inversion de sens, transformant la lutte de classes en un dialogue et une consultation entre partenaires. C’est une voie étroite et périlleuse car le capitalisme managérial veut dicter son programme sans discussion et surtout sans négociation.
Nous assistons donc au spectacle de blocs bourgeois dépourvus de stratégie politique, passant de la discussion à la répression, participant ainsi à l’affaiblissement de leur légitimité. Avec cette approche dite du bâton et de la carotte, les blocs au pouvoir peuvent compter sur le soutien de leur administration ainsi que des appareils médiatiques de la bourgeoisie. Mais cette praxis est de plus en plus risquée car elle élargie le fossé entre les discours conciliants et les pratiques de guerre de classe qui se généralisent ; ainsi l’incroyable déchaînement de sauvagerie policière contre les Gilets Jaunes en est un cas d’école, le gouvernement passant brutalement de la discussion et du débat à une violence policière et judiciaire fascisante (les procureurs dans le système judiciaire français étant aux ordres du Ministère de la Justice).
Tous les blocs bourgeois continuent leur déclamation du mantra ordo-libéral, symbole sonore de leur esprit égoïste ; nous voyons aujourd’hui Macron, Draghi, Johnson, Merkel et Kurz sur le chemin tracé par Berlusconi et Trump : faire de l’état un appareil au service du MPC. Dans cette nouvelle configuration institutionnelle, le politique se réduit à une routine administrative quotidienne, et le gouvernement se transforme en une simple entité dite de ‘gouvernance’. La priorité donnée à l’efficacité comptable et à la culture dite du résultat confirme le remplacement du politique par l’idéologie managériale. L’état devient un simple outil de rationalité technique aux mains d’administrateurs zélés à l’esprit formaté par la logique du capital.
Comme l’a remarqué Pierre Musso, c’est l’ordo-libéralisme, véritable modèle de gouvernance des institutions Européennes, qui impose l’entreprise comme un nouveau modèle de société. Il s’agit bien de gérer, c’est à dire de gouverner avec les mêmes méthodes et les mêmes outils que ceux utilisés par le capitaliste afin de ‘créer de la valeur’. Le nouveau monde des ordo-libéraux, c’est la gouvernance par les algorithmes, la dépolitisation complète des politiques publiques, et l’imposition de choix déterminés par le calcul et les tableaux Excel.1
Afin de formuler une définition du bloc social qui sera en mesure de se confronter à l’ordo-libéralisme, il nous faut définir qui assure le fonctionnement des opérations du MPC au quotidien ? Qui contrôle les procès et les méthodes qui permettent au capital de s’approprier la plus-value issue du travail social ? Ces activités de contrôle sont la responsabilité de la technostructure managériale.
Contrairement aux propriétaires du capital donneurs d’ordres ou au prolétariat qui exécute au quotidien, la technostructure managériale n’est pas une classe unifiée, mais un groupement de strates salariées, strates multiples que l'on retrouve souvent amalgamées sous le nom de 'classes moyennes supérieures' sans autre explication. Pris en dehors d’un contexte spécifique, ce terme ne signifie rien ; mais grâce à des recherches récentes portant sur cette technostructure et son mode opératoire, Duménil et Lévy ont repris une définition de Jacques Bidet et analysé la transformation de ce groupe durant la période ordo-libérale :
« Le capitalisme managérial est une formation sociale, expression de l’hybridité des rapports de production. Elle supporte une structure de classe tripolaire capitalistes-cadres-classes populaires dans laquelle les cadres ont acquis progressivement le statut de classe supérieure…. A des degrés encore supérieurs à ceux atteints dans le capitalisme, on peut voir dans le managérialisme un mode de production-socialisation qui réunit les cadres des entreprises et ceux des institutions gouvernementales et administratives ».2
Certains sont donc à la fois cadres et propriétaires du capital, mais d'autres sont de simples salarié(e)s au sein d'organisations qui peuvent avoir jusqu'à une douzaine de niveaux hiérarchiques. Alors que le compromis Fordiste de 1945 aux années 70 était une ‘alliance de gauche’ de type social-démocrate entre les ouvriers et les managers, techniciens et professionnels, l’ordre ordo-libéral d’après 1980 est une alliance autoritaire ‘de droite’ entre les capitalistes, les managers et les professionnels diplômés. Nous avons donc un système pyramidal fait de multiples interactions sociales. Il y a souvent de quoi s’y perdre mais c’est la réalité.
Le MPC comme formation sociale est traversé par des classes et des strates sociales dont les imbrications sont complexes. Il est donc impossible de déterminer avec certitude qui dans le capitalisme managérial rejoindra notre bloc social et qui restera dans le bloc bourgeois. Essayons donc de voir selon quels critères certains éléments du management et certains cadres peuvent s'allier durablement au capital. Prenons l'exemple d'une banque ; les 'décisionnaires' (eux-mêmes souvent des cadres supérieurs) décident de confier à un groupe d'ingénieurs informaticiens, de spécialistes des procédures du crédit, et de cadres des différents services, la mission de développer et de mettre en place un nouveau procès de travail, enrichi d'outils informatiques de simulation, afin de permettre aux conseillers bancaires de travailler plus rapidement et plus efficacement. Le résultat attendu est, pour un temps de travail inchangé, une augmentation du chiffre d'affaires et du nombre de clients et donc, à travail égal, une meilleure productivité. Si le projet réussi et la profitabilité des conseillers augmente, le groupe de projet et l’encadrement seront récompensés en conséquence, soit par des bonus, des augmentations de salaire, des promotions, des stock-options, etc. C'est ainsi que la banque mesure la productivité des ingénieurs et des 'spécialistes et compétents'. ll y a donc fort à parier que, dans une grande majorité des cas, elles/ils s'aligneront sur les objectifs du capital. ll y a aussi fort à parier que dans un tel cas les employé(e)s moins qualifiés et les cadres moyens, ayant des tâches de supervision et d’encadrement des routines administratives, de contrôle ordinaire du fonctionnement du travail, ou de l'environnement quotidien ne seront pas invité(e)s aux fêtes pour célébrer les bonus ou les stocks options, car ils ne recevront ni l'un, ni l'autre.
Bien qu'elles/ils soient inclus formellement dans la hiérarchie managériale, il est difficile de voir les cadres opérationnels s'aligner sur les objectifs du capital, surtout lorsque de tels changements dans les organisations dévalorisent leur rôle et diminuent leurs responsabilités. Les déboires de la direction de la SNCF lors de sa tentative de remplacer les conducteurs de trains par des cadres opérationnels durant les grèves de Mars- Avril 2018 est à cet égard riche d’enseignement ; le fait que 20% des cadres aient participé à la grève le 22 Mars nous montre où, et sous quelles conditions, pourraient se développer les lignes de fracture. C'est tout ce que nous pouvons conclure, le fait que ce sont les strates inférieures ou opérationnelles de l'élément cadriste qui seront plus à même de considérer notre argumentaire en fonction de leurs intérêts présents et à venir et de leur position dans la hiérarchie.
Dans une étude récente de ce qu’ils nomment la classe moyenne salarié (CMS), Bruno Astarian et Robert Ferro ont déterminé en analysant les salaires que les managers reçoivent un ‘bonus salarial’, basé sur la profitabilité en plus du salaire basé sur la valeur de leurs activités quotidiennes3. Suivant le même raisonnement que Duménil et Lévy, ils définissent la CMS comme une entité hybride ; si elle trouve son salaire trop bas, il est fort possible qu’elle se joigne aux ouvriers dans une confrontation avec le capital ; mais si son bonus salarial est élevé, alors elle se joindra aux propriétaires du capital afin de faire augmenter la production de plus-value par le prolétariat4.
Nous pouvons affirmer que notre 'bloc social', qui va travailler à la réalisation du projet de société, doit avant tout être composé des classes laborieuses qui sont impliquées dans l'exécution des tâches, et ce quel que soient les secteurs industriels ou de services, les administrations, les services publics, c’est-à-dire peu ou prou 75% à 80% des salarié(e)s (le salariat représente aujourd’hui 90% des personnes économiquement actives). Nous devons reconnaître et accepter le fait que 'la classe ouvrière' est aujourd'hui beaucoup plus diversifiée et hétérogène qu'il y a trente ans ; mais ceci étant dit, elle est toujours là, et il n'est pas si difficile de définir quelles sont les populations dont les intérêts convergent et qui sont à même de constituer un groupe socio-politique cohérent, à condition de procéder méthodiquement. C'est à la formation de cette coalition que nous devrons nous attacher. Comme Duménil et Lévy le font remarquer dans leur récent ouvrage sur la structure en pleine évolution du capitalisme managérial :
« La cassure entre les hauts salaires des managers et les bas salaires des classes populaires, ainsi que les hiérarchies à l’intérieur de chaque classe, est déterminée par les positions de chaque individu vis-à-vis des moyens de production-socialisation. La procédure analytique de séparation entre classes ou fractions de classes doit être basée sur une analyse concrète des tâches et des positions respectives le long d’un axe obéissance-autorité »5.
C’est une leçon importante ; travaillons donc à l'articulation dans le quotidien des problèmes qui sont au cœur de l'économie politique afin d'élargir la conception économico-corporative étroite qui est trop souvent la seule chose que les syndicats savent pratiquer, ayant en chemin perdu la boussole de l'émancipation du salariat. C'est là notre force pour bâtir une coalition prétendant à l’hégémonie. Bâtissons en coopérant avec des mouvements, des syndicats, des organisations politiques et incluons tous ceux qui ne participent pas à la direction et à la gestion de ces grandes transformations qui assurent non seulement la subsomption réelle du travail sous le capital, mais dans de nombreux cas la subsomption absolue de la vie en suivant la logique totalitaire de la mondialisation ; et s’il y en a d’autres qui veulent nous rejoindre, elles/ils sont libres de le faire. Dans tous les cas de figures ne perdons pas de vue la notion de formation sociale et la nécessité de bien analyser les tâches et les positions des participants dans les hiérarchies de travail. Comme le fait remarquer Nicos Poulantzas dans son analyse pionnière de la structure du MPC, comprenons bien le rôle de chacun :
« Les ingénieurs et les techniciens sont au cœur de la reproduction des relations idéologiques qui opèrent à l’intérieur du procès de production des marchandises. Leur rôle dans cette reproduction, par le biais de l’application technologique de la science, prend la forme spécifique au capitalisme de division enter le travail manuel et le travail mental. Cette division fait partie des conditions idéologiques du procès de production capitaliste… Gramsci, a défini ces ingénieurs et techniciens comme des intellectuels ayant une fonction idéologique…ils sont les intellectuels organiques de la bourgeoisie … qui en plus ont un travail de direction et de supervision grâce à leur savoir.… Mais dans certaines branches, les ingénieurs et les techniciens n’ont aucun rôle de direction ou de supervision des travailleurs car ils sont eux-mêmes la force de travail… Il ne faut donc pas les exclure de la classe ouvrière…contrairement à ceux qui dirigent et qui font partie de la bourgeoisie…Nous ne devons pas rejeter la possibilité que des fractions importantes de la petite bourgeoisie adopterons les mêmes positions idéologiques et seront présentes sur le terrain avec la classe ouvrière. »6
Jean-Claude Simon
Collectif L’exigence démocratique !
Janvier 2022
1 Pierre Musso, Le temps de l’état-entreprise (Paris : Éditions Fayard, 2019), 75.
2 Gérard Duménil & Dominique Lévy, ‘Les canaux de l’extraction du surtravail dans le capitalisme managérial : hauts salaires et revenus du capital’, Actuel Marx 63 (2018) : 51-52.
3 Bruno Astarian & Robert Ferro, Le ménage à trois de la lutte des classes (Toulouse : éditions de l’Asymétrie, 2019), 18.
4 Ibid., 41.
5 Gérard Duménil & Dominique Lévy, Managerial capitalism, (London: Pluto Press, 2018), 55
6 Nicos Poulantzas, Classes in contemporary capitalism, (London: Verso Books, 1978), 237 – 289.
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